… Le voyans au dehors, et l’estimans par l’extérieure apparence n’en eûssiez-vous donné un coupeau d’oignon, tant laid il était de corps et ridicule en son maintien… Mais ouvrant cette boîte eûssiez au dedans trouvé une céleste et impréciable drogue…
Rabelais
Vieux pion qu’on raillait, ô si doux philosophe
Aux coudes rapiécés, pauvre être marmiteux
Dont l’étroit paletot, d’une luisante étoffe,
Disait un long passé d’hivers calamiteux,
Je te revois. Ton crâne avait une houppette,
Une seule, au milieu, de poils, — et tu louchais.
Et longuement, avec un fracas de trompette,
Dans un mouchoir à grands carreaux tu te mouchais.
Je te revois, dans le préau, sous les arcades,
Grave, déambuler; et j’ai la vision
De ton accoutrement pendant ces promenades
Où tu marchais au flanc de ma division;
De ta longue, — oh ! si longue et noire redingote,
Dans laquelle plus d’un avait déjà sué;
De ton chapeau gibus bon pour mettre à la hotte,
Si fantastiquement bleuâtre et bossué !
Ton haleine odorait le vin et la bouffarde,
Et, quand tu paraissais à l’étude du soir,
Souvent ton nez flambait dans ta face blafarde,
Et c’est en titubant que tu venais t’asseoir.
Pochard mélancolique au crâne vénérable,
Parfois tu t’éveillais, quand tu cuvais ton vin,
Et, frappant un grand coup de règle sur la table,
Tu glapissais: « Messieurs, silence!… » Mais en vain.
Ou plutôt, tu dormais, sans souci des boulettes
Qu’on mâchait longuement pour t’envoyer au nez.
Et ton étude alors marchait sur des roulettes…
Plus de punitions ni de pensums donnés !
On t’avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves
Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur.
Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves.
Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l’azur.
Car tu faisais des vers. Tu rimais un poème !
A nul autre que moi tu ne l’as avoué.
— Comment donc avais-tu, lamentable bohème,
Au fond de ce collège, en province, échoué ?
Pif-Luisant, je t’aimais. Quelquefois je suis triste
En repensant à toi. Qu’es-tu donc devenu ?
C’est toi qui m’as prédit que je serais artiste,
Et c’est toi le premier rimeur que j’ai connu.
Un jour, ayant trouvé des vers dans mon pupitre,
Tu fus pris d’une joie attendrie, et je vis
Comme un rayonnement sur ta face de pitre,
Et tu me contemplais avec des yeux ravis !
Dès ce jour, tu m’aimas. Et tandis que les autres
Jouaient en criaillant aux barres, nous causions.
Les conversations exquises que les nôtres !
Parfois tu m’expliquais un peu mes versions.
Edmond Rostand, Les Musardises