Auguste Louis Lepère (1849-1918) – Automne – 1897 – The Cleveland Museum of Art | Image
automne
Automne
L’Automne
Lentement, insidieusement, l’Automne vient d’entrer en scène. On s’était habitué à la douceur, à la longueur des journées, aux soirées claires sous les étoiles, à cette existence facile presque méridionale, en plein air, fenêtres et portes ouvertes; on aimait à regarder passer la vie, ardente, jeune et gaie, sans songer précisément… qu’elle passait. Et voici que, dans un jardin public, sur les boulevards, au Bois, un froissement sec nous fait tressaillir; nous venons de marcher sur une feuille morte. Cette petite chose fine, abandonnée, roulée aux moindres souffles d’air, teinte notre joie de sa rouille mélancolique, et nous rentrons chez nous, une inexplicable angoisse au cœur, comme après la découverte de la première ride ou du premier fil blanc des cheveux; subitement nous sentons le froid: une flambée, ce soir, serait bien agréable!
Et pourtant quelle magie que celle de l’Automne, quand l’homme, ce frénétique destructeur, lui laisse encore des bois et de l’espace pour s’y déployer! Quelle grâce des brumes transparentes, écharpes lamées d’argent qui rampent, se suspendent, s’enroulent, s’envolent, absorbant, pour s’en parer, les rayons qui les frangent d’azur et de safran! Quelle poésie ont les lointains estompés, irréels, baignés de vapeurs et de rêve; quelle féerie de couleurs sur les feuillages qui s’éparpillent comme les pétales de quelque énorme marguerite: les jaunes éclatants, toute la gamme des cuivres et des ors, jusqu’au rouge qui saigne le long des vignes vierges! Quel art des nuances, quelle dégradation des teintes! Quel apaisement! Les bruits sont feutrés, ouatés; on dirait qu’ils hésitent à se manifester de peur de rompre l’enchantement. C’est que cet enchantement est la dernière floraison de l’année. La nature, avant de mourir, se pare de ses plus beaux atours. Certains visages rayonnent ainsi à l’instant où ils vont se faner pour toujours; mais ce rayonnement nous fait mal parce qu’il précède l’agonie.
L’Automne aussi est une fin, voici pourquoi, malgré sa séduction, il nous déçoit et nous attriste. Nous savons bien que la sève, fatalement, à nouveau, fermentera; qu’elle se glissera dans les brindilles, fera éclater les écorces, s’épanouira: bourgeons, feuilles et fleurs, sur les branches des arbres, les buissons et les plantes; que dans les vergers, les campagnes, les jardins, les oiseaux chanteront et que le printemps reviendra, l’adorable, le rassurant printemps, le semeur d’illusions; mais serons-nous encore là? Verrons-nous le bleu de son ciel et le rose de ses roses?
Malgré nous, l’Automne fait songer à la fuite des jours, à notre jeunesse qui s’éloigne. Un tournant encore, nous n’apercevrons d’elle que son geste d’adieu et son ombre qui diminue. Rien ne subsistera-t-il? Et, parce que le printemps et la jeunesse s’en sont allés, faut-il vraiment désespérer? Non, certes! Autour du feu clair qui pétille, le foyer resserré nous garde, nous berce comme un nid; les étincelles qui jaillissent évoquent encore les belles journées que la bûche, lentement réduite en cendres, a vécues, alors qu’elle était branche. Chaque heure nous apporte ses dons; à nous de les découvrir afin de ne les point délaisser. Chaque saison de la vie a son charme; à nous d’orienter vers lui notre âme pour qu’elle s’en imprègne et s’en délecte. Dans les cendres des souvenirs, que d’étincelles aussi qui ne demandent qu’à briller et à réchauffer de leurs rondes bondissantes ce qu’on appelle la vieillesse. Le bonheur est en nous, projetons-le sur la vie, et le printemps, l’été, l’automne ou l’hiver passeront, diversement, mais délicieusement colorés par son magique reflet.
Jean Renouard