Le pinceau du Titien

Le pinceau du TitienHommage rendu au génie.

C’était à Bologne. Il y avait eu une entrevue entre le pape et l’empereur; il s’agissait du duché de Florence ou, pour mieux dire, du sort de l’Italie. On avait vu le pape et Charles-Quint causer ensemble sur une terrasse, et, pendant leur entretien, la ville entière se taisait. Au bout d’une heure, tout était décidé; un grand bruit d’hommes et de chevaux avait succédé au silence. On ignorait ce qui allait arriver, on s’agitait pour le savoir; mais le plus profond mystère avait été ordonné: les habitants regardaient avec curiosité et avec terreur les moindres officiers des deux cours; on parlait d’un démembrement de l’Italie, d’exils et de principautés nouvelles.

Mon père travaillait à un grand tableau, et il était au haut de l’échelle qui lui servait à peindre, lorsque des hallebardiers, leur pique à la main, ouvrirent la porte et se rangèrent contre le mur.

Un page entra et cria à haute voix: « César! » Quelques minutes après, l’empereur parut, roide dans son pourpoint, et souriant dans sa barbe rousse.

Mon père, surpris et charmé de cette visite inattendue, descendait aussi vite qu’il pouvait de son échelle; il était vieux; en s’appuyant à la rampe, il laissa tomber son pinceau.

Les assistants restaient immobiles, car la présence de l’empereur nous avait changés en statues. Mon père était confus de sa lenteur et de sa maladresse; mais il craignait, en se hâtant, de se blesser. Charles-Quint fit quelques pas en avant, se courba lentement, et ramassa le pinceau. « Le Titien, dit-il d’une voix claire et impérieuse, le Titien mérite bien d’être servi par César. » Et, avec une majesté vraiment sans égale, il rendit le pinceau à mon père, qui mit un genou en terre pour le recevoir.

Alfred de Musset (1810-1857), Nouvelles et Contes.

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Alfred de Musset

Alfred de Musset (1810-1857) fut un des meilleurs écrivains français du XIXe siècle.

Doué d’une sensibilité excessive, il sut rendre avec une sincérité tantôt émue, tantôt spirituelle, mais toujours gracieuse, les sentiments qui agitèrent son âme. C’est là ce qui fait le charme de son œuvre. Comme poète, il a donné les Premières Poésies et les Poésies nouvelles; comme prosateur, Comédies et proverbes, Contes et Nouvelles

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Dans ce portrait de l’homme de quarante ans, rien ne subsiste de la flamme qui pétillait chez l’adolescent. L’enfant du siècle, le dandy, n’est plus qu’un élégant qui se survit et justifie le mot cruel de Henri Heine: un jeune homme d’un si beau passé.

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La Nuit vénitienne

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