« Faites revivre, si vous le pouvez, la littérature de 1802; ressuscitez la mort; montrez-nous, après l’orage révolutionnaire, les talents sortant timidement de l’arche sous l’arc-en-ciel du 18 brumaire, les traditions de la fin du XVIIIe siècle se réveillant peu à peu, la civilisation nouvelle cherchant à se rattacher aux derniers anneaux d’une civilisation épuisée; l’élégance et la politesse du siècle de Louis XV représentées et remises en honneur par quelques vieillards ingénieux et quelques jeunes hommes, leurs respectueux disciples, dont plusieurs, par un plus généreux élan, se reportent jusqu’au siècle de Louis XIV comme au berceau de toutes les saines doctrines; le pouvoir nouveau souriant à une réaction qui pouvait ramener, avec la littérature du grand siècle, tout l’ensemble de ses idées et peut-être de ses institutions; de beaux talents enfin, mais les talents d’un autre âge, et point de génie suffisant à l’époque. C’est alors qu’apparaissent, à deux points opposés de l’horizon, l’ouvrage de Mme de Staël sur la Littérature et le Génie du Christianisme. »
A. VINET, Études sur la littérature au XIXe siècle, t. I Chateaubriand, p. 216.
Il est curieux de voir comment les hommes qui ont renversé un régime politique et social ont laissé intacts les principes littéraires du XVIIe siècle. Sans doute, le siècle de Voltaire a eu son originalité, mais on peut dire qu’il n’a rien changé aux formes de l’art que lui avait transmises le siècle précédent.
1° C’est d’abord le même respect pour les modèles. Les « pseudo-classiques » poussent jusqu’à la superstition le culte des classiques; ils n’offrent que des œuvres sans aucune originalité, sans aucune force; on ne trouve partout que de pauvres copies des chefs-d’œuvre dévotement admirés et souvent très mal compris.
2° C’est encore le même respect pour les règles. On jure par Boileau; l’Art poétique reste le code étroit et impérieux de ces littérateurs.
3° C’est aussi le même respect pour les genres. Le plus cultivé, précisément parce qu’il permet d’écrire sans avoir des idées, est le genre descriptif. Les poètes descriptifs seront légion sous l’Empire.
4° Au point de vue de l’expression, les caractères essentiels sont les suivants:
a) Il est évident qu’avec une pareille conception de l’art, le fond passe bien après la forme. La théorie de J.-B. Rousseau est encore aggravée par les pseudo-classiques. La théorie de Voltaire, à savoir que le mérite de la poésie consiste surtout dans la difficulté vaincue, est au fond celle de tous ces versificateurs.
b) On reste fidèlement attaché à l’emploi de la mythologie païenne; on ne voit pas que c’est là ce qui tue la poésie; on continue à demander à la légende antique et classique des oripeaux brillants, mais qui habillent fort mal la pensée.
c) Ces auteurs, d’autre part, sont avant tout désireux de n’employer que l’expression noble, pompeusement parée. L’essentiel pour eux est de mettre en œuvre le style des concours académiques.
d) Enfin les œuvres sont gâtées par cette sensiblerie venue en droite ligne de J.-J. Rousseau; de là tant de développements déclamatoires et tant de fausse chaleur.
Il faut aussi compter avec les causes extérieures:
1° Tout d’abord les préoccupations du moment. Sans doute les événements contemporains étaient de ceux qui ébranlent les imaginations. Ils devaient fournir matière à des œuvres de génie; mais la France souffrait, le pays était une vaste caserne.
2° D’autre part, après la tourmente révolutionnaire, Napoléon se charge non seulement de pacifier l’éloquence, mais aussi tous les genres. Chateaubriand se voit prononcer l’ordre de ne pas prononcer à l’Académie son Discours de réception. Le duc de Rovigo fait mettre au pilon l’Allemagne de Mme de Staël; avec ce régime, Napoléon avait beau distribuer des récompenses officielles aux littérateurs de son temps, la littérature ne pouvait pas vivre. Les grands noms de cette période se trouvent chez les adversaires de l’Empire; et c’est avec la Restauration, lorsque la liberté renaîtra, en partie du moins, que la littérature elle-même se renouvellera et que nous verrons le magnifique mouvement du romantisme.
À la française ... 