Lettre de Fénelon à Louis XIV

Lettre de Fénelon à Louis XIV

Le roi est l’homme des peuples. Le despotisme des souverains est un attentat sur les droits de la fraternité. (Fénelon)

Depuis environ trente ans, Sire, vos principaux ministres ont ébranlé et renversé toutes les anciennes maximes de l’État; on n’a parlé que du roi et de son bon plaisir. On a poussé vos revenus et vos dépenses à l’infini. On a appauvri la France entière, afin d’introduire à la Cour un luxe monstrueux et incurable. Ils vous ont accoutumé à recevoir sans cesse des louanges outrées qui vont jusqu’à l’idolâtrie, et que vous auriez dû, pour votre honneur, rejeter avec indignation.

On a rendu votre nom odieux et toute la nation française insupportable à nos voisins. On n’a conservé aucun ancien allié, parce qu’on n’a voulu que des esclaves …

Vos peuples meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée. Les villes et la campagne se dépeuplent. Tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre État, pour faire et pour défendre de vaines conquêtes au dehors.

Au lieu de tirer de l’argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui donner l’aumône et le nourrir. La France entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provision. Les magistrats sont avilis et épuisés. La noblesse, qui s’est ruinée pour figurer à vos fêtes somptueuses de Versailles, ne vit plus que de vos dons.

Voilà, Sire, ce que vous avez fait de votre royaume! …

Fénelon (1651-1715)

La misère dans les campagnes au XVIIe siècle

L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée; et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine; et en effet, ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer, et de recueillir pour vivre; et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé.

La Bruyère

Source