Ronsard – À une jeune morte

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Ronsard (1524-1585)

Né près de Vendôme, Pierre de Ronsard passe une jeunesse de courtisan et de diplomate auprès de divers princes et seigneurs. Il devient sourd et se jette alors avec passion dans l’étude des langues et des écrivains de l’antiquité. Peu à peu il groupe autour de lui de jeunes poètes dont les plus connus sont Baïf, Remy Belleau et Joachim du Bellay. Menant une vie ardemment studieuse, ils traduisent et étudient les poètes grecs et latins afin de pouvoir écrire en français des poèmes analogues aux leurs par le sujet et par la forme. Ils veulent enrichir notre idiome, apporter un soin minutieux au style, à la versification.

Ronsard, le chef de ce groupe, est aussi le plus grand poète de la Renaissance française.

Ses œuvres les plus célèbres sont ses Odes, ses Hymnes, ses Poèmes, ses Discours en vers. Il leur dut une gloire immédiate et véritablement européenne. Rois et reines, — Marie Stuart et Charles IX surtout, — le comblèrent d’éloges et de bienfaits. Tous les écrivains du siècle proclamaient son génie.

Ronsard a souvent exprimé, et d’une façon pénétrante, le sentiment mélancolique de la brièveté de notre vie. Il a su dire en beaux vers ses affections, ses aspirations religieuses, son patriotisme, son amour des bois, des eaux, de la nature: il cherche d’ailleurs à imiter les sujets et les procédés des poètes grecs, latins ou italiens. Il croit devoir faire par exemple des allusions fréquentes aux divinités de la mythologie païenne. Mais derrière ces ornements, ces façons conventionnelles de s’exprimer, nous sentons toujours un sentiment personnel sincère et pénétrant.

À une jeune morte

Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur1,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube2 de ses pleurs au point du jour l’arrose:

La Grâce dans sa feuille et l’Amour se repose3,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur4,
Mais, battue ou de pluie5 ou d’excessive ardeur6,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose7.

Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque8 t’a tuée, et cendre tu reposes9.

Pour obsèques10 reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.

Ronsard

Les Mots et les Formes.

1. fleur: mis pour floraison, signifie éclat.

2. Aube, Grâce, Amour sont des personnifications.

3. inversion: la Grâce et l’Amour se reposent dans sa feuille (mis pour ses pétales). Le verbe reste au singulier parce que l’accord se faisait très souvent dans l’ancienne langue avec le dernier sujet énuméré.

4. odeur: parfum. Le mot a perdu ce sens précis. (Faire disparaître l’inversion).

5. battue de pluie: on dirait aujourd’hui par. Autrefois les prépositions usuelles étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui: chacune d’elles s’employait par suite dans beaucoup de cas différents. Aujourd’hui chaque préposition a un sens plus net, plus spécial, et s’emploie dans des cas mieux déterminés.

6. ardeur: chaleur intense.

7. déclose: ouverte (contraire de close).

8. la Parque: Dans la mythologie, les Parques étaient trois déesses de qui dépendait la vie des hommes. L’une, Clotho, tient le fuseau et file le fil de nos jours; une seconde, Lachésis, tient ce fil et le dévide; la troisième, Atropos, le coupe. C’est de celle-ci qu’il s’agit ici.

9. cendre tu reposes: Analyser le mot cendre. — Faire disparaître l’ellipse et l’inversion.

10. obsèques: ensemble des cérémonies funéraires. Ici, sens étymologique: offrandes faites par les anciens et destinées à accompagner le corps
dans l’autre monde.

Explication

L’ensemble. — Dans ce sonnet Ronsard s’adresse à une jeune fille morte. Il l’a connue, dans un village de l’Anjou, toute rayonnante de jeunesse et de beauté — puis il l’a vue soudain emportée par la mort. C’est cette disparition subite qu’il rappelle ici à l’aide d’une comparaison, en laissant s’exprimer une douce mélancolie, une tristesse pénétrante qui a succédé à la vive douleur du premier moment.

I. La mort soudaine et prématurée de la jeune fille.

Ronsard compare le sort de la jeune fille à celui de la rose éclatante de fraîcheur mais vite flétrie.

1. Le terme de comparaison: la rose (les 2 quatrains).

La comparaison est annoncée par le premier mot: « Comme » . Le poète semble ensuite ne plus penser qu’à la rose: mais en réalité, pendant qu’il la décrit, il songe à la jeune fille et veut nous faire songer à elle. Cette rose devient l’emblème de la jeunesse gracieuse brusquement anéantie en plein épanouissement. Il est donc tout naturel que Ronsard parle de la fleur comme d’une personne.

a) La beauté de la fleur (c’est-à-dire, indirectement,… quoi?) nous est dépeinte avec complaisance et minutie: notre impression lors de sa mort sera d’autant plus vive — Expliquer: le ciel jaloux les pleurs de l’Aube. L’Aube est personnifiée — souvenir de la mythologie. Personnifications analogues: la Grâce, l’Amour. Façon conventionnelle et élégante de traduire une impression personnelle: celle de la beauté de la fleur et du sentiment qu’elle inspire — 6e vers: le parfum de la fleur, sa suavité — sa puissance {citer), nous voyons la rose au centre d’un paysage (décrire).

b) Sa mort: la cause? — Commenter « battue » . La courte « maladie » et son aggravation (citer et commenter). Ces deux quatrains forment un large tableau.

2. La jeune fille (premier tercet). Un mot rappelle la comparaison (citer).

a) Ce qui rend sa mort plus saisissante (2 vers). (À quoi correspondent-ils dans les 2 quatrains? Sa jeunesse (citer), sa beauté: 2e vers. Ce vers est admirable: il nous fait voir le personnage dans un paysage gracieux de sa belle province. Les fleurs et la verdure, la clarté du ciel semblent se concerter pour encadrer, pour mettre en relief la beauté de la jeune fille: pour « honorer » ainsi cette dernière, c’est-à-dire pour lui rendre une sorte de culte admiratif comme à une divinité.

b) La mort brusque. 3e vers. (A quoi correspond-il dans les deux quatrains?) Personnification de la mort empruntée à la mythologie; exprime-t-elle bien la façon brutale dont le malheur se produit? Autre trait imité des auteurs antiques: « cendre« : chez les anciens, on appelait ainsi ce qui restait des morts après la combustion sur le bûcher — restes précieusement recueillis. La jeune morte dont il s’agit n’a pas été incinérée: le mot désigne simplement ici par extension les restes mortels. Il les désigne d’une façon voilée. Le mot cendre nous masque l’horreur du cadavre sous la terre — par là le morceau conserve son caractère de peinture attristée, mais gracieuse.

La comparaison est terminée.

II. L’offrande funéraire (second tercet): la douleur du poète, ses larmes et ses pleurs. Y a-t-il ici un pléonasme? Sa vision poétique de funérailles païennes: il se voit faisant sur cette tombe les offrandes rituelles des anciens (citer). Il cache le corps de la jeune morte sous les fleurs afin d’écarter de nos yeux la triste image.

Source

Pierre de Ronsard