MONTESQUIEU

Image


Montesquieu en 1728 (peinture anonyme), Versailles

Notice biographique

Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, appartient à la noblesse de robe.

Quoiqu’il ait fait des études de droit, il n’aime pas la procédure et s’oriente vers les sciences et les recherches expérimentales. En 1716, il entre à l’Académie des Sciences de Bordeaux et il y fonde un prix d’anatomie.

En 1721, il publie à Amsterdam, sans nom d’auteur, les Lettres Persanes. Ce petit ouvrage qui présente une critique des moeurs contemporaines, le rend tout à coup célèbre et lui ouvre l’accès aux salons parisiens. En 1728, il est élu à l’Académie Française.

Après avoir voyagé (en Autriche, en Hongrie, dans les Pays-Bas, en Allemagne et en Angleterre) pour mieux étudier les faits et les hommes, il se retire en 1731 à La Brède et va se consacrer à l’élaboration d’un grand ouvrage sur la nature des lois et les rapports entre elles.

En 1734, il publie ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. En 1748, L’Esprit des Lois paraît à Genève, un immense ouvrage sur les diverses formes de gouvernements. En réponse à diverses critiques sur L’Esprit des Lois, il écrit encore une Défense de l’Esprit des Lois.

Il meurt à Paris en 1755.

Oeuvres

Lettres Persanes (1721)
Considérations (1734)
Esprit des Lois (1748)
Défense de l’Esprit des Lois (1750)

Style

Montesquieu attache beaucoup d’importance à l’expression de ses idées : il varie son style, se sert d’images pour illustrer les idées abstraites.

Dans les Lettres Persanes son style est ironique et spirituel; dans les Considérations la majesté du ton correspond à la grandeur des Romains; dans L’Esprit des Lois son style est simple, la langue impeccable.

Lettres Persanes (1721)

Ce roman satirique est présenté sous forme de lettres que deux Persans, Uzbek et Rica, visitant la France, écrivent à divers amis en Perse pour leur faire part de leurs impressions.

L’Orient était très à la mode en France depuis les récits de voyage de TAVERNIER et CHARNIER (XVIIème siècle).

Montesquieu se sert de cette couleur orientale pour formuler des critiques très hardies contre la société du temps.

Les Persans de Montesquieu observent d’un regard neuf, amusé et stupéfait les moeurs et les institutions occidentales et ainsi les habitudes et usages français apparaissent comme ridicules et absurdes.

Le procédé sera souvent repris par les philosophes du XVIIIème siècle, entre autres par VOLTAIRE.

Montesquieu s’attaque par l’ironie aux manies, aux abus, à la mode, à l’Académie Française, mais aussi au roi et au pape.

Montesquieu ne se limite pas à la critique, mais son ouvrage contient aussi des passages constructifs qui contiennent déjà les théories élaborées dans L’Esprit des Lois; il se fait sociologue en parlant du divorce, des colonies.

Extrait

Dans la Lettre XXIV Rica décrit ses premières impressions.

La lettre nous offre une vue d’ensemble sur les principaux thèmes de l’ouvrage.

Il y a un comique particulier qui naît de la désinvolture avec laquelle l’auteur parle des questions sérieuses.

Rica à Ibben, à Smyrne

Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.

Paris est aussi grand qu’Ispahan. Les maisons y sont si hautes qu’on jugerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée, et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.

Tu ne le croirais pas peut-être : depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français : ils courent; ils volent. Les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un Chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête, mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour, et un autre, qui me croise de l’autre côté, me remet soudain où le premier m’avait pris; et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues.

Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des moeurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner.

Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre, et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.

D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à les persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant; tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits.

Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t’étonner : il y a un autre magicien, plus fort que lui, qui n’est pas moins maître de son esprit qu’il l’est lui-même de celui des autres. Ce magicien s’appelle le Pape.

Tantôt il lui fait croire que trois ne font qu’un, que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce.

Et, pour le tenir toujours en haleine et ne point lui laisser perdre l’habitude de croire, il lui donne de temps en temps, pour l’exercer, de certains articles de croyance. Il y a deux ans qu’il envoya un grand écrit, qu’il appela Constitution, et voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu. Il réussit à l’égard du prince, qui se soumit aussitôt et donna l’exemple à ses sujets. Mais quelques-uns d’entre eux se révoltèrent et dirent qu’ils ne voulaient rien croire de tout ce qui était dans cet écrit. Ce sont les femmes qui ont été les motrices de toute cette révolte, qui divise toute la Cour, tout le royaume et toutes les familles. Cette Constitution leur défend de lire un livre que tous les Chrétiens disent avoir été apporté du Ciel : c’est proprement leur Alcoran. Les femmes, indignées de l’outrage fait à leur sexe, soulèvent tout contre la Constitution : elles ont mis les hommes dans leur parti, qui, dans cette occasion, ne veulent point avoir de privilège. On doit pourtant avouer que ce moufti ne raisonne pas mal, et, par le grand Hali, il faut qu’il ait été instruit des principes de notre sainte loi. Car, puisque les femmes sont d’une création inférieure à la nôtre et que nos prophètes nous disent qu’elles n’entreront point dans le Paradis, pourquoi faut-il qu’elles se mêlent de lire un livre qui n’est fait que pour apprendre le chemin du paradis ? …

De Paris, le 4 de la lune de Rediab 2, 1712

Vocabulaire

Ispahan : ancienne capitale de la Perse
leur machine : leur organisme, leurs jambes
comme le roi d’Espagne : c’est-à-dire l’or des Indiens qu’il possède au Pérou.
vendre : pour financer ses guerres, Louis XIV trouva des ressources non seulement dans la vente d’offices plus ou moins utiles, mais aussi dans celle de titres de noblesse
munies : mises en état de défense
ils croient : pendant les vingt-cinq dernières années de son règne, Louis XIV fit varier sans cesse le titre et la valeur des monnaies
convaincus : on émit pour la première fois des billets de monnaie en 1701
touchant : les rois de France étaient censés guérir les écrouelles (= klierziekte) par simple attouchement
Constitution : l’auteur renvoie à la bulle Unigenitus de 1713 par Clément XI et dans laquelle il interdit le jansénisme et défend la lecture de la Bible aux femmes
d’entre eux : les jansénistes
moufti : prêtre musulman
Hali : le gendre de Mahomet

Extrait

Dans la Lettre XCIX Rica parle de l’inconstance des modes et des moeurs en France.

Rica à Rhédi, à Venise

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été, ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver : mais surtout on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.

Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers; et avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé. Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger : il s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.

Quelquefois les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même; dans un autre, c’était les pieds qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement; et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avaient de la taille et des dents : aujourd’hui il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.

Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de moeurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717

Vocabulaire

* Américaine : c’est-à-dire une Indienne d’Amérique du Nord, une femme Peau-Rouge. Au XVIIIème siècle, les femmes faisaient grand usage de fards et plus spécialement de rouge
* tout à coup : sous Louis XIV, les femmes portaient la coiffure très haute : les cheveux étaient maintenus à l’aide de rubans et de dentelles. Après 1715, les femmes portaient les cheveux plats
* l’air : après 1715, on portait également de très hauts talons placés presque sous la courbure du pied, ce qui obligeait les femmes à marcher à petits pas
* mouches : petites rondelles de taffetas noirs que les femmes se mettent sur le visage, soit pour cacher un défaut de la peau, soit pour faire ressortir la blancheur du teint
* la taille : c’était la mode des jupes montées sur cerceaux, ce qui réduisait la longueur de la taille : le haut du corps semblait reposer sur une demi-sphère
* des dents : les femmes se mettaient des fausses dents

Exercice

1. Quels sont les principaux thèmes des Lettres Persanes annoncés dans la Lettre XXIV ?
2. A quel genre littéraire font penser les lignes 18 à 22 de la Lettre XXIV ?
3. Qu’y a-t-il de plus caractéristique dans la mode parisienne d’après la Lettre XCIX?

L’Esprit des Lois (1748)

C’est un immense ouvrage dans lequel Montesquieu veut créer la science des lois positives en montrant qu’il y a un certain ordre dans le nombre important de lois existantes dans tous les pays et que toute loi a sa raison d’être.

La structure de L’Esprit des Lois est complexe : il y a 31 livres groupés en six parties et subdivisés en chapitres et paragraphes.

Dans l’introduction générale (Livre I) il explique la notion de loi.

Les livres II à XIII parleront de la nature du gouvernement et de son principe. C’est ici que l’auteur dit qu’il y a trois sortes de gouvernements : le despotisme, la monarchie et la démocratie. La forme idéale lui paraît une monarchie modérée où le pouvoir est maintenu en équilibre par le clergé, la noblesse et le parlement. En plus, les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires doivent être séparés.

Plusieurs de ces principes seront repris et réalisés lors de la Révolution française.

Dans les livres XIV à XXV Montesquieu expose sa théorie des climats et de l’esprit général qui influencent le tempérament des peuples et donc les lois.

Dans les livres XXVI à XXXI Montesquieu fait intervenir le facteur temps et il donne des conseils aux législateurs.

Extrait

Ce texte est un fragment du Livre I.

… La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine.

Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre.

Il faut qu’elles se rapportent à la nature et au principe du gouvernement qui est établi, ou qu’on veut établir : soit qu’elles le forment, comme font les lois politiques; soit qu’elles le maintiennent comme font les lois civiles.

Elles doivent être relatives au physique du pays, au climat glacé, brûlant, ou tempéré; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs, ou pasteurs : elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs moeurs, à leurs manières. Enfin, elles ont des rapports entre elles; elles en ont avec leur origine, avec l’objet du législateur, avec l’ordre des choses sur lesquelles elles sont établies. C’est dans toutes ces vues qu’il faut les considérer.

C’est ce que j’entreprends de faire dans cet ouvrage. J’examinerai tous ces rapports : ils forment tous ensemble ce que l’on appelle l’Esprit des Lois.

Je n’ai point séparé les lois politiques des civiles : car comme je ne traite point des lois, mais de l’esprit des lois, et que cet esprit consiste dans les divers rapports que les lois peuvent avoir avec diverses choses, j’ai dû moins suivre l’ordre naturel des lois que celui de ces rapports et de ces choses.

Extrait

Le texte que vous lisez maintenant est extrait du Livre XI et parle de la séparation des pouvoirs.

Il y a, dans chaque Etat, trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger; et l’autre, simplement la puissance exécutrice de l’Etat.

La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était
jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.

Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où les trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.

Exercice

Précisez les fonctions respectives des trois pouvoirs décrites dans l’extrait.

Creative Commons License
Op bovenstaand artikel is een Creative Commons Licentie ‘Naamsvermelding – Niet-Commercieel – Gelijk Delen 2.0’ van toepassing. Deze licentievorm maakt gratis gebruik in een onderwijscontext (non-profit) mogelijk.
Auteursrechten van dit artikel.


Montesquieu

Montesquieu (1689-1755)
Charles de Secondat, baron de la Brède, naquit au château de la Brède, dans le Bordelais, d’une famille de parlementaires. Il étudia le droit et devint président au Parlement de Bordeaux. La procédure toutefois ne l’intéressa pas. Il fréquenta l’Académie de Bordeaux où il lisait des travaux historiques et des mémoires scientifiques.

En 1721 il publia un roman, Les Lettres persanes, dans lequel il suppose que deux Persans, Rica (homme du monde) et Usbeck (philosophe réfléchi) visitent l’Europe et envoient de Paris leurs impressions à des amis restés en Perse. Ces lettres servent de cadre commode pour des observations satiriques sur la société. Plus hardi que La Bruyère, il attaque déjà les institutions, mais son audace tient plutôt de la plaisanterie ironique que de la critique politique.

Voulant préparer un grand ouvrage juridique, il se mit à voyager en Europe, en particulier en Angleterre. Puis il alla s’enfermer à La Brède au milieu de ses livres, étudiant l’Antiquité et les institutions romaines. En 1734, il publia un chapitre de son futur livre sous le titre de Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Il y rattache la grandeur des Romains au fait qu’ils recherchaient la liberté à l’intérieur et la guerre à l’extérieur. Ces idéaux réalisés, Rome les perdit: la liberté fut remplacée par un tyran, la guerre par le plaisir; et l’Empire devint la proie des Barbares.

Enfin, en 1748 parut L’Esprit des Lois. Cet ouvrage fut lu, admiré et critiqué vivement. Quand Montesquieu mourut en 1755, sa gloire était incontestée dans l’Europe entière.

Selon Montesquieu il existe une justice idéale, dont les lois sont l’application. Elles devraient donc être les mêmes partout. Nous constatons pourtant qu’elles sont différentes suivant les époques et les peuples. C’est que la justice absolue est modifiée par le gouvernement, le climat, la religion, l’économie, et d’autres facteurs.

Il distingue entre la tyrannie, basée sur la peur; la monarchie, basée sur l’honneur; et la démocratie, basée sur la vertu. Il semble opter pour une monarchie limitée par des corps intermédiaires (Eglise, Noblesse, Parlement). En plus, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être séparés. L’Esprit des Lois représente ainsi cet esprit libéral, hostile aux abus de l’autorité qui oublie la justice absolue pour n’écouter que ses caprices.

d’après J.CALVET, Petite Histoire de la littérature française, Paris, Ed. de Gigord, 1966.
Montesquieu
Charles de Montesquieu naquit à son château de la Brède près de Bordeaux et manifesta dès l’enfance le goût des études sérieuses. Jeune encore, il fut conseiller, puis président à mortier au parlement de Bordeaux (1716). A 33 ans il donna, sous le voile de l’anonyme, son premier ouvrage Les Lettres persanes, une satire où la magistrature n’était pas épargnée. En homme d’honneur, Montesquieu résigna sa charge. Il fut reçu à l’Académie et prit une part modérée aux travaux de l’Encyclopédie. Après avoir employé plusieurs années à visiter la plus grande partie de l’Europe pour étudier les mœurs et les institutions des différents pays, il se retira dans son château de la Brède, où il écrivit ses deux principaux ouvrages: Considérations snr les causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains (1734) et Esprit des Lois (1748). Il mourut en bon chrétien durant un voyage à Paris.

Montesquieu est un moraliste sérieux et réfléchi, un politique aux vues larges et modérées.

Le style est haché, mais simple, concis et fort.

Les Lettres persanes (1721) sont une correspondance fictive entre deux Persans (Usbeck le grave et Rica le vif) venus à Paris et leurs amis restés en Perse. Une intrigue de harem sert de cadre au persiflage hardi de la société française sous la régence de Philippe d’Orléans (1715 — 1723).

Dans les Considérations sur les causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains (1734) Montesquieu s’inspire du Discours sur l’ Histoire Universelle de Bossuet. Mais tandis que celui-ci trace les grandes lignes et ramène tout à l’action de la Providence, Montesquieu entre dans les détails et insiste sur les causes secondes. Il attribue principalement la grandeur de Rome aux mérites respectifs des souverains, du peuple, des lois; et sa décadence à son extension démesurée, à la corruption des mœurs, etc. Cet ouvrage, dans sa concision, est le plus parfait qui soit sorti de la plume de Montesquieu.

L’Esprit des Lois (1748, 10 volumes), œuvre capitale de l’auteur et fruit de vingt ans de labeur, est un traité de législation comparée, et résume en 31 livres les institutions politiques de tous les peuples dans leurs rapports avec le gouvernement, le climat, les mœurs, le commerce, la religion. Les préférences de l’auteur vont à la monarchie constitutionnelle de l’Angleterre; mais il convient avec raison que le meilleur gouvernement est celui qui se rapporte le mieux à la disposition du peuple pour lequel il est établi.

Source: Schmidt
Creative Commons License
This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 3.0 Unported License.